jeudi 25 février 2016

25 février 2016 – Apologie du désir

Ça fait vingt ans que je m’intéresse aux philosophies orientales et que j’essaye de voir si je pourrais en tirer quelque chose d’un point de vue pratique. Au point où j’en suis aujourd’hui, je me demande si je ne suis pas trop bête pour ça. Je me dis que, tout compte fait, la philosophie orientale m’emmerde.

Selon Wikipedia, « L’approche du zen consiste à vivre dans le présent, dans l’ici et maintenant, sans espoir ni crainte ». Vivre au présent, j’adhère. « Sans espoir ni crainte », je ne vois ni pourquoi ni comment (la crainte, quand elle est justifiée, est plutôt utile, quant à l’espoir, je ne vois pas ce que je ferais sans lui). 

Et pour le Tao, si j'ai bien compris, l’idée générale est de faire le vide, de se débarrasser de tout sans exception, des pensées comme des émotions, de la joie comme de la tristesse, et d’abandonner tout objectif et, finalement, toute velléité d’agir. Et là, je me dis que je serai un taoïste parfaitement accompli quand je serai mort. Il me suffit d’attendre. 


La philosophie orientale m’emmerde particulièrement dans sa version occidentalisée, car on en fait une apologie du renoncement

« Le désir est un exil », nous dit, par exemple, Arnaud Desjardins. C’est un ennemi qu’il faut maîtriser, car il nous aliène, nous amène à nous perdre. Il crée une tension qui nous éloigne de la plénitude intérieure. Il faut lui faire la peau en l’« épuisant » (comme Diogène et les cyniques grecs), ou en lui préférant le « silence intérieur » auquel on accède par la méditation et « la pleine conscience de nos motivations » (la voie stoïque). 

Ça correspond à la version theravâda du bouddhisme qui affirme que le kâma (la soif) produit la souffrance. S’en débarrasser permet de mettre fin au cycle des réincarnations et d’atteindre le nirvâna. Mais avec l’idéal du bodhisattva (un être réalisé qui se réincarne pour le fun), les voies du mahayana et du vajrayana introduisent l’idée d’un désir positif et se réconcilient avec l’hindouisme et le tantrisme qui ont toujours regardé le désir comme une force de vie. Il y a certainement un problème de traduction derrière tout ça : faut-il traduire kâma par « soif », « désir » ou « avidité » ? Ça change le sens du discours. 

Ces nuances n’intéressent pas beaucoup les gourous qui veulent se la jouer classe en récupérant les philosophies orientales pour prôner l’abstinence, l’ascétisme et le dépouillement. C’est très tendance : il faut éviter les viandes, le sucre, le sel, les aliments gras, le lactose, et le gluten et, dans le même mouvement, il faut lutter contre le désir, l’appétit et les envies, se méfier du plaisir et s’inscrire dans le « renoncement ». Pour moi, ça revient à vivre contre les choses, au lieu de vivre pour ou au moins avec. Je n’y vois qu’un mouvement réactionnaire face à la société de consommation et à l’idéologie du plaisir qui a submergé les quatre dernières décennies. 

OK, l’occident a sûrement abusé sur les steaks, la caféine, l’alcool et la cocaïne, ces derniers temps. Mais, pour autant, je ne crois pas qu’on puisse construire quoi que ce soit, et sûrement pas une bonne philosophie de vie, avec des contre. Être contre, c’est être en réaction. Et être en réaction, c’est rester prisonnier de ce contre quoi on lutte. On avance alors dans une seule direction : celle qui nous éloigne de notre ennemi. 

J’essaye de me laisser guider par mes désirs, plutôt que par mes refus. J’ai le sentiment que ça m’ouvre beaucoup plus de possibles, et tant pis s’ils sont un peu désordonnés : la vie n’est pas quelque chose de rangé. Et puis, ça n’interdit pas un peu de discernement : en dressant la liste de mes désirs (au lieu de les diaboliser), je me donne la possibilité de faire mes choix comme avec le menu d’un restaurant. 

C’est quoi, l’idéologie de l’occident, en ce moment ? Être contre Daesh ? Et qu’est-ce qu’on propose en face, à part un grand vide taoïste ? Il paraît que la nature a horreur du vide... 

Pour ceux qui voudraient creuser leur réflexion sur le désir : http://www.harrystaut.fr/2009/01/faut-il-se-liberer-du-desir-ou-liberer-le-desir/ 

Et voilà une pensée de Sénèque : Le renoncement est un signe de faiblesse et de lâcheté, c’est une fuite de soi-même

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