jeudi 4 février 2016

Jeudi 4 février 2016 – L'ange de la mort

Il y a presque un an, j'étais à l'hôpital de la Salpêtrière où l'on m'a greffé un boîtier pour aider mon cœur à battre. Parmi les nombreux témoignages d'amitié que j'ai eu la chance de recevoir à cette occasion, il y avait celui d'un auteur et ami, un peu plus âgé que moi, dont l'intelligence et la délicatesse m'ont touché. Aujourd'hui, il m'apprend qu'il sort de l'hôpital après avoir frôlé la mort et s'être fait posé un défibrillateur.


Je lui ai souhaité la bienvenue au club et je lui ai dit que mon expérience s'apparentait au dialogue suivant avec l'ange de la mort  :

L’ange : – Bon, j’ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise, laquelle tu veux en premier ?
Moi : – La mauvaise. Je suis comme ça.
L’ange : – La mauvaise, c’est que la mort n’est pas une blague. Tu vas vraiment finir par y passer.
Moi : – C’est con. Je m’en doutais un peu, mais tout au fond de moi, j’espérais que je serais l’exception, le gars qui ne meurt jamais.
L’ange : – Ben, non. Pas d’exception. Tu vas crever et tu seras bouffé par les vers. Ça va puer affreusement pendant tout le temps de ta décomposition...
Moi : – Ça va, c’est bon, je sais comment ça se passe. Et je t’accorde que c’est une mauvaise nouvelle. C’est pour quand, alors ?
L’ange : – Ça, c’est la bonne nouvelle...
Moi : – Woaw ! Super ! Ça veut dire que c’est pour dans longtemps ?
L’ange : – Ha, ha ! ... La bonne nouvelle, c’est que tu ne sais pas.
Moi : – T’es sûr que c’est une bonne nouvelle ?
L’ange : – Oui. Si je te donnais la date, tu organiserais ta vie en conséquence, et tel que je te connais, tu ferais les choses aux petits oignons, tu profiterais de la moindre minute qu’il te reste pour y placer un devoir ou un truc que tu trouves important de réaliser avant la fin. Tu te ferais un emploi du temps de fou où chaque chose serait parfaitement à sa place.
Moi : – Et alors ?
L’ange : – Alors tu transformerais ton futur en quelque chose où tout est écrit par avance.
Moi : – Et alors ?
L’ange : – Ça serait une très grave erreur. Il y a déjà une partie de ta vie où tout est écrit. Tu sais laquelle ?
Moi : – Attends... ben... heu... le passé ?
L’ange : – Exactement ! Si tu connaissais la date de ta mort, tu transformerais l’avenir en passé. Une fois que ton planning serait mis en place, tu n’aurais plus qu’à avancer tout droit, et ça serait comme si tu étais déjà mort. Tu deviendrais un zombi, un mort qui marche.
Moi : – Elle est quand même pourrie, ta bonne nouvelle.
L’ange : – Pourquoi ?
Moi : – C’est pas une nouvelle. Rien n’a changé. J’ai toujours ignoré la date de ma mort.
L’ange : – Non. Tu as toujours fait semblant d’ignorer que tu allais mourir, c’est différent. Maintenant, tu viens d’expérimenter la mort. Ça n’est plus seulement une idée, c’est quelque chose que tu as vécu et que tu connais dans ta chair, dans ton cœur. Tu ne peux plus tricher.
Moi : – Ça change quoi ?
L’ange : – Tout. À présent, tu sais que chaque seconde de ta vie future est un miracle, un cadeau. Quand on sait qu’on va recevoir un cadeau, il perd de son goût. Le vrai cadeau, c’est la surprise. Désormais, la vie t’offre 3600 surprises par heure, ça fait presque 90 000 cadeaux par jours. Et encore, je me suis arrêté à la seconde, mais on pourrait aussi compter les instants...
Moi : – Tu as un bon baratin, mais tu me prends pour une andouille. C’est de l’arnaque, ton truc. Ce que je retiens, c’est que je ne sais pas quand je vais mourir. C’est comme tout le monde, c’est comme avant...
L’ange : – Oui, tu peux faire comme ça... Tu peux faire comme tout le monde. Tu peux faire comme avant, comme si rien ne s’était passé. À chaque fois qu’on vit une expérience, on peut faire comme si elle n’avait pas eu lieu. Au début, c’est un peu difficile, mais on oublie vite.
Moi : – Pfff... Bon, OK, j'ai failli mourir, je suis même mort pendant quelques secondes, d'un point de vue technique... Et alors ? Je m'en suis sorti, non ? Je suis vivant, maintenant ! Pourquoi faudrait-il que je pense tout le temps à ce qui s'est passé ? Comment tu veux que je vive, si je pense tout le temps à ma mort ?
L’ange : – C’est exactement ça, la bonne question...
Moi : – Merci. Essaye de me donner la réponse, au lieu de te foutre encore de moi.
L’ange : – Tu n’a plus besoin de penser tout le temps à la mort. Elle est désormais inscrite en toi et ton corps s’occupera de te le rappeler. Essaye plutôt de passer chaque seconde en pensant à la vraie vie. Pas à une vie théorique, planifiée, organisée, sécurisée, contrôlée, stérilisée. Essaye de passer chaque seconde en pensant à ce qu’est vraiment la vie : un miracle, une surprise, une somme d'imprévus d’une ampleur catastrophique et merveilleuse. Écoute chaque battement de ton cœur et compte. N’arrête jamais de compter. Tu peux recommencer à "un" à chaque fois, c’est ça qui est beau. Mais n’arrête jamais de compter. Compte les oiseaux qui traversent le ciel, compte les souffles de vent qui viennent caresser ton visage, compte les jours, les nuits, les soirs et les matins, compte les larmes et les rires, compte les moments d'ennui, compte les drames, les adieux, les engueulades, les échecs, les orgasmes, les fou-rires, les retrouvailles, les baisers et les grains de riz qui arrosent les mariés. Compte les gouttes de pluie. Compte les cailloux qui sont sur ton chemin, compte chaque...
Moi : – OK, OK, c'est bon... J'ai compris le principe... Je compte, je compte...
L’ange : – Chaque battement de ton cœur. Compte. Chaque battement compte.

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